Produire durablement
Il n’existe pas une économie au singulier, mais différentes conceptions de l’économie. La conception dominante se fonde sur une vision linéaire des échanges. Elle désigne la direction que prennent les biens échangés : production, distribution, consommation, destruction ; une ligne droite tracée directement vers nos poubelles. La grande majorité des produits ne sont pas conçus avec d’autres objectifs que d’être achetés en répondant à un besoin ou à une envie. Peu importe ce qu’ils deviennent une fois la transaction marchande passée.
Tordre cette vision linéaire pour en faire un cercle, c’est le projet de l’économie circulaire. Cela passe par plusieurs moyens : partage, réparation, réemploi, remise à neuf, recyclage. Ces moyens agissent à des étapes différentes du cycle de vie d’un produit, de la fabrication à ce qu’il devienne un déchet, en passant par l’emballage, la distribution et l’utilisation. D’une manière ou d’une autre, ils visent tous à étirer la durée de vie et d’usage des matériaux. Le partage est une façon de mettre en commun l’usage de biens, la réparation de prolonger la durée de vie du produit1, le réemploi de trouver à une substance qui n’est pas un déchet un usage identique à celui pour laquelle elle a été conçue2, la remise à neuf de redonner à un bien toute sa valeur d’usage, et le recyclage à retraiter les déchets aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins3.

Bruit du frigo, Station Mue
Une vision systémique
Une économie qui fonctionne de manière circulaire nécessite moins d’intrants, moins de matériaux. Cela permet de s’opposer à des logiques extractivistes, c’est-à-dire d’exploitation massive des ressources de la planète. Ces ressources sont limitées, et l’économie circulaire en propose une gestion responsable et réfléchie. Évidemment, il s’agit de produire globalement moins de produits neufs, mais aussi de dépenser les ressources disponibles de manière optimale pour réparer, réemployer, remettre à neuf et recycler ; de manière à réduire la consommation globale de nouveaux matériaux. Cela comprend toutes les étapes, dès la conception. Ainsi ne faut-il pas simplement considérer l’économie circulaire comme une réaction, mais aussi comme un choix préliminaire à la production : elle prend place en amont de la chaîne de production. C’est ce qu’on appelle l’écoconception, c’est-à-dire prendre en compte le débouché et l’avenir des matériaux utilisés dans la production d’un bien.
L’écoconception consiste donc à réfléchir en amont de la production, afin de permettre un élargissement de la boucle de l’économie circulaire, et des matériaux en son sein. Il s’agit d’un cercle vertueux pouvant avoir différentes externalités positives, sur la santé par exemple. Déployer une réflexion en profondeur sur tous les aspects des matériaux employés dans la construction du bâti pourrait permettre d’éviter des erreurs comme le fut l’emploi systématique de l’amiante. C’est tout aussi vrai vis-à-vis de la production textile. Les vêtements en polyester, en nylon, en acrylique ou en élasthanne, rejettent des microparticules nocives pour l’environnement, mais aussi pour notre santé, puisque les différents usages de l’eau les ramènent jusque dans nos assiettes4.
Économie circulaire et citoyenneté
L’économie circulaire peut être perçue comme un but à atteindre afin de mettre en place un système de production et de consommation soutenable. Elle peut aussi être un moyen de porter d’autres ambitions. Elle peut être créatrice d’activité économique et d’emploi localisé, à travers le développement des métiers de la réparation. L’approche environnementale va de pair avec l’économie circulaire, elle nous invite à réduire les déplacements inutiles de matériaux, donc à localiser les activités de réparation. Elle peut aussi être un vecteur de lien social. Individuellement, l’apprentissage des techniques d’économie circulaire peut passer par l’échange. Il peut s’agir d’une manière de créer du lien intergénérationnel avec des générations d’ainé·e·s qui ont appris à rapiécer ou recoudre plutôt que de jeter. Cela peut aussi passer par des groupements de citoyen sous forme d’associations, qui visent à favoriser la montée en pouvoir d’agir afin de limiter la dépendance à des acteurs extérieurs, par exemple en apprenant à réparer ses meubles ou ses appareils électroniques plutôt que de les jeter.
Dans l’économie linéaire, nous sommes des consommateurs ou usagers passifs. Dans l’économie circulaire, les flux se déplacent et tourbillonnent grâce à toutes les parties prenantes qui forment ce cercle. Toutes y sont actives, nous y compris. Ainsi, nous pouvons pleinement prendre compte de notre pouvoir d’agir et le développer. L’économie circulaire ne peut se faire sans nous tous. Elle va de pair avec une stimulation de notre implication en tant que membre de la société, et peut être le tremplin vers d’autres manières de faire société. Non seulement l’économie circulaire est un élément de réponse aux enjeux environnementaux, mais elle peut aussi nous faire considérer autrement des enjeux sociétaux. Étant donné qu’elle peut aller jusqu’à remettre en question l’entièreté de nos modes de consommation et de production, elle a trait à la quasi-totalité des secteurs économiques. Par exemple, sur la mobilité, elle questionne notre rapport à la technicité. Il est difficile d’envisager une économie circulaire si les citoyens ne sont pas capables de comprendre et maîtriser les biens. Or, l’une des distinctions majeures entre voiture et vélo est justement leurs degrés de technicité. Si cette technicité est trop importante, il devient impossible de démocratiser l’autoréparation, ou l’appropriation de l’outil par l’usager. Ivan Illich, philosophe et penseur de l’écologie politique, écrivait que « conviviale est la société où l’Homme contrôle l’outil »5, encore faut-il être capable de contrôler l’outil.
L’économie circulaire est une économie qui nous pousse à réfléchir et recréer notre économie actuelle.
Pour aller plus loin
Sites web :
Vidéos :
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ADEME, « L’économie circulaire entre potentiels et défis » (Conférence)
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ARTE, « Et si le monde tournait rond ? » (Documentaire)
Lectures :
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DE ABREU Victor Hugo Souza, DA COSTA Mariane Gonzalez, DA COSTA Valeria Xavier, DE ASSIS Tassia Faria, SANTOS Andrea Souza, DE ALMEIDA D’AGOSTO Marcio. « The Role of the Circular Economy in Road Transport to Mitigate Climate Change and Reduce Resource Depletion ». Sustainability 14, nᵒ 14 (janvier 2022): 8951.
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ORANGE Gérald, VATTEVILLE Éric. « Le développement durable : de la rivalité à la convivialité ». Management & Avenir 29, nᵒ 9 (2009): 191 207.
1 Agence de la transition écologique. « Réparation – Ademe ».
2 Agence de la transition écologique. « Le réemploi et la réutilisation – Ademe ».
3 Agence de la transition écologique. « Le traitement des déchets – Ademe ».
4 60 Millions de Consommateurs. « Microplastiques : comment nos vêtements polluent ».
5 ILLICH Ivan. « Convivialité ». Edition seuil. p.10